apolline mariotte

Petites histoires vécues.

Mois : mars, 2012

Mars et Vénus

Boire une pinte de Leffe cul-sec ? Cap.
Se raser tous les matins avec un monolame sans se couper ? Cap.
Porter un costume par 30 degrés ? Cap.

Comment diable font les hommes pour que rien ne leur résiste ?

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. On s’est escrimées à comprendre les règles du rugby, à engloutir un double Big Mac, à regarder des films de guerre sans se cacher les yeux.

C’est peine perdue. Il semble qu’hommes et femmes ne viennent pas de la même planète et malgré tous nos efforts pour se comprendre les uns et les autres, certaines subtilités nous échappent encore.

Ne plus rien avoir à se mettre, filer son collant, casser son bâton de rouge à lèvres, verser une larme devant Bambi, enfoncer le pare-choc de la nouvelle voiture. La vie d’une femme se révèle autrement plus compliquée.

Alors que sur Vénus règne une éternelle insatisfaction, sur Mars, tout paraît enfantin. Rien ne leur résiste ? Vraiment ? Si, j’oubliais. Le dernier niveau d’Assassin’s Creed.

Anti-rides

Par une après-midi oisive d’hiver, alors que je déambule dans les allées d’un grand magasin, me régalant des étalages et du ballet incessant des employés affairés, une conseillère de beauté m’alpague. Troublée dans ma flânerie et interrompue dans mes pensées insouciantes je me dirige, à contre-cœur, vers la jeune fille.

Les cheveux brillants de laque, une épaisse couche de maquillage sur la peau et des cils dont le volume défie les lois de la gravité, elle se lance dans un diagnostic de peau et m’annonce tout de go que j’ai la peau mixte. J’allais apprendre, au cours d’une tirade capillotractée, qu’il s’agit là de la plus ingrate de toutes. Une production excessive de sébum, qui remonte par le canal pilo-sébacé pour former un film hydrolipidique à la surface de la peau, obstrue les pores de mon épiderme et fait briller la zone dite du T, composée du front, du nez et du menton.

Je ne dis mot, acceptant ma sentence et m’efforçant de supporter les effluves toujours plus tenaces de son parfum sucrailleux. Loin d’avoir terminé sa réplique, elle entame un plaidoyer anti-rides. Rides inter-sourcilières, rides péri-buccales, perte de volumétrie et d’élasticité, affaissement de l’arc de Cupidon, les sillons se creusent, les cernes se marquent, le visage se froisse ; il faut enrayer le mécanisme du vieillissement dès 25 ans. Stimuler la régénération des cellules, combler, lisser, repulper, agir en profondeur, il faut combattre les premiers signes de l’âge provoqués par une armée d’agressions extérieures : stress, maquillage, pollution, soleil. Elle préconise alors l’utilisation d’un sérum à la feuille d’or 24 carats, ou encore un soin qui utilise les propriétés magiques du caviar.

Si seulement, avant de commencer à m’étaler des œufs de poisson sur le visage pour traiter mes futures rides, je pouvais me débarrasser de mes boutons d’acné post-adolescence attardée.

Métropolitain

Ségur. La station est calme. Quelques voyageurs attendent sur le quai. Direction Boulogne, prochain train dans une minute. Dans un grand fracas, le métro entre et s’immobilise. Un homme dévale les escaliers, au pas de course, et saute dans la rame au moment où les portes claquent, tentant avec une force surhumaine d’empêcher leur fermeture et laissant par la même occasion son sac sur le quai.

La Motte-Picquet. À la vue du quai noir de monde, il réalise qu’il lui faut à tout prix trouver une place assise avant l’ouverture des portes. Tête baissée, il fonce sur la dernière place libre, évitant les regards du jeune homme en béquilles, resté debout.

Emile Zola. N’ayant pas eu le temps de se placer à la bonne porte, il ressort et court s’installer dans la rame suivante. Ouf, il pourra sortir face à l’escalator et éviter le flot de voyageurs qui se déverse à l’arrivée.

Charles Michels. Haletant, il s’accroche à la barre suintante, la saisissant à pleines mains. Son téléphone sonne. Il décroche et démarre une conversation bruyante dans un anglais très français. Le réseau est faible, la connexion coupe. Il raccroche en bougonnant.

Javel. Panne de signalisation. Il souffle, exaspéré. D’une main et sans précautions, il fait signe à une voyageuse de lui donner le 20 minutes qu’elle a à peine eu le temps de refermer. Le train redémarre.

Eglise d’Auteuil. Il sort et pousse un grand soupir en apercevant les grilles fermées de sa sortie habituelle.

Les cheveux en bataille, la chemise froissée et le costume défraîchi, il commence sa journée, épuisé.

Elvis

Canis lupus familiaris. Il tire sur sa laisse comme un forcené. Un mégot entre les lèvres, le teint gris et les yeux collés par le sommeil, son maître vole derrière lui. Lorsqu’il a enfin déniché un endroit à son goût, le chien s’arrête, flaire les alentours et commence une danse folle dans laquelle il tourne sur lui-même, comme pour trouver le meilleur centimètre carré de ce bitume froid et austère. Son maître le fixe, un sac plastique à la main. A-t-il seulement conscience de l’absurdité de sa situation ? Quelques secondes plus tard et après s’être consciencieusement léché l’arrière train, le chien repart.

Elvis, sois gentil avec papa. Redevenu sage, le chien s’approche de son maître, lui présente sa truffe humide et dans un élan d’affection, se dresse sur ses pattes arrière pour lui offrir une léchouille en plein visage. Puis, d’un coup de tête, il se débarrasse du filet de bave accroché à ses babines.

Felis silvestris catus. Avec ses coussinets, il se déplace sans un bruit, le fourbe. Violette est toute dévouée à son chat qui lui a été offert très jeune, alors qu’il peinait encore à tenir sa tête. Depuis, il a atteint sa taille adulte et avec, a acquis toute l’arrogance dont les félins sont capables. Etendu de tout son long en travers du fauteuil du salon, il toise sa maîtresse : œil perçant, oreilles dressées, corps fuselé, silhouette gracile et longiligne. Ce petit insolent d’une inutilité crasse se croit tout droit sorti de la cuisse de Bastet. Lentement il se lève, s’étire, arque le dos, puis saute sur l’appui de fenêtre et s’échappe avec agilité. Violette est en retard. Elle attrape son thermos de café, enfile un manteau et claque la fenêtre.

Quelques minutes plus tard, un orage éclate.