apolline mariotte

Petites histoires vécues.

Mois : janvier, 2013

Ratus

Tous les jours, lorsque j’allais à l’école élémentaire, il était dans mon cartable. Le diabolique Ratus à l’oreille croquée, cet individu vil au museau vert, aux pattes griffues et aux incisives proéminentes, effrayait Marou et Mina, les gentils chats.

Un jour d’été, pendant les grandes vacances à Aisey avec les cousins, je l’ai rencontré en vrai. Tous les soirs après le dîner, il venait nous narguer, trottinant tout autour de la pièce sur les larges pierres froides, puis disparaissait. Dans la nuit sombre, alors que toute la maison était endormie, il sortait de sa cachette pour se repaître de longues minutes durant dans le placard de la cuisine, déjouant les tapettes.

Jusqu’au jour où il s’aventura en plein jour. Devant une marmite fumante, alors que nous nous apprêtions à inhaler notre énième décoction âcre et pestilentielle de thym et d’oseille, nous l’aperçûmes. Notre sang ne fit qu’un tour et nous le prîmes en chasse.

Il se déroba vers la salle à manger puis fila dans la tour. Nous nous élançâmes à sa suite. Hélas, les hautes marches ralentirent sa course, il commença à peiner, nous laissant gagner du terrain. Arrivé au premier, Ratus se réfugia dans le cagibi, pensant nous échapper. À ses trousses, nous nous y engouffrâmes à notre tour, claquant la porte derrière nous.

Il était là, à notre merci, son petit cœur gonflé par la terreur soulevant son frêle squelette. En bons petits diables, nous fondîmes sur lui, saisissant notre trophée agité par la queue. Ni une ni deux, il se retrouva dans un bocal, quatre paires d’yeux l’observant alors qu’un filet d’eau remplissait inexorablement le récipient.

Dans notre grande magnanimité, quelques jours plus tard, nous le graciâmes et le relâchâmes sous le poirier.

Patte-tendre

Le petit loup titille une fourmilière avec une brindille. Il a les ongles noirs, les genoux couronnés, une feuille de chardon dans les cheveux. Un peu débraillé, sa chemise d’uniforme froissée sent le feu de bois, ses yeux sont épris de découverte.

Il fait l’apprentissage de la vie. Faire pipi dans les bois, manger des raviolis, oublier de planter une sardine, écouter les bruits de la nuit, les arbres qui craquent, les oiseaux qui hululent, la pluie qui goutte sur le double-toit, ou sous le double-toit…

Entre une feuille de tilleul et un morceau de mousse, il tente d’apprivoiser une colonie de gendarmes indisciplinés. S’émerveiller de tout, du bois résineux qui crépite dans le feu de veillée, des chamallows qui grillent, plantés sur des brindilles, des jolis chants du Hodari.

Au petit matin, devant la tente des bruns, la rosée perle dans les chaussures du petit loup. Se laver la frimousse dans un ruisseau, enfiler des gants blancs, monter les couleurs, son béret vissé sur la tête. Lorsque le Baussant flotte au-dessus du camp, il est toujours gai.

Ramasser du bois, remplir un jerricane, étaler du savon noir sur les gamelles, toujours faire de son mieux. Chasser un cloporte avant de se glisser dans son duvet et le pourfendre, enfouir des patates sous la braise ou les planter sur les piquets de tente lorsque l’orage tonne, transpercer une limace, gober un Flanby.

Se contenter de peu. Une chute de tissu en guise de cape, un bâton pour épée, expédier des petits mots lestés d’une crotte de bique à son frère cul de pat à l’heure de la sieste. Trépaner un escargot, attiser le feu et s’époumoner, décoder du morse, mettre le pied dans une flaque.

Etre bon joueur, écouter Akela, sourire dans les difficultés, faire les install, pratiquer son nœud de chaise, montrer au plus petit, estourbir un scarabée, faire un 5e à la lueur de la lampe de poche pendant que les gris s’endorment sagement. Rêver des Castors et des Gerfauts.

Voir le verre à moitié plein, rouler son foulard, suivre les signes de piste, déchiffrer en K7, faire croire à Baloo à une inspection surprise, inciser un vers de terre et l’occire, jouer avec le feu, y jeter un mille-pattes. Faire résonner le chant de la promesse à la clarté des torches.

À la fin du camp, le petit loup a obtenu son badge ami des bêtes.

Gym su

Nan j’peux pas ce soir, je vais à la gym su. Cette réflexion un peu pimbêche, vous l’avez certainement déjà entendue. Le cours de gym su, c’est le dernier endroit où l’on sort.

Dans une ambiance de boîte de nuit, des brochettes entières de pin-up urbaines en legging simili cuir taille 34, débardeur dos nageur, poignets en éponge, se retrouvent pour gymer en rythme.

Je jette un œil inquiet à Caroline. En cercle autour d’un bourreau hyper corporate – t-shirt gym su, short gym su, baskets gym su – nous voilà embarquées pour une heure de défouloir.

Sus à la graisse, vade retro peau d’orange, arrière poignées d’amour ! Tous les pores de la peau exsudent le risotto de la veille, leur action décuplée par l’effet dopant de la musique. Les bras dansent les Village People, les jambes jouent les stars des podiums. Reste à synchroniser le tout.

On sculpte, on galbe, on fuselle. Un peu pataudes, rouges comme des pivoines, les deux débutantes que nous sommes s’accrochent pour suivre les enchaînements.

Lorsque le cours se termine, l’on s’applaudit. Parce que l’on a bien transpiré, parce que l’on se sent bien dans son corps, parce que l’on se sent belle. L’on se félicite de toutes ces calories brûlées.

Grand bien nous fasse. À table maintenant.

Mise en plis

Je l’avais imaginé maintes fois ce carré cranté des années 1930. Fouillant dans les photos et les trésors de famille pour dénicher des modèles, j’avais créé de mes dix petits doigts la très chic voilette mouchetée qui n’attendait plus que d’être piquée dedans.

Ce jour là, lorsque je me suis assise face à la glace, un peignoir sur le dos, je plaçai tous mes espoirs en la jeune coiffeuse blonde qui m’avait été attribuée. Derrière ses lunettes rectangulaires, elle me jauge en tripotant mes cheveux, sans ménagement. À ma gauche, le patron crêpe le chignon d’une future mariée. Il dégouline d’anglaises et de perles. À ma droite, une apprentie me dévisage sans discrétion, le visage inexpressif de l’ado apathique.

Vous avez le cheveux fin Mademoiselle. Et puis pas vraiment de volume. Munie de quelques images, je tentai de bien lui faire comprendre mon idée.

Alors elle commence. Armée d’un bataillon de fers, elle boucle, elle gaufre, elle laque, sans conviction ; sans succès non plus. Pendant plus d’une demi-heure, elle tentera sa chance avec tous les outils du salon. Mes yeux commencent à s’humidifier quand j’entends crépiter mes cheveux sous le fer et vois un filet de fumée s’en échapper.

J’essaye de me décontracter en fixant mon attention sur les conversations alentour. Il y en aura bien une pour parler du mauvais temps.

– Je vous installe sous le casque Madame Baldy ?

– Oui, mais pas trop chaud, j’ai plus grand-chose vous savez bien.

– C’est votre nature de cheveux, Madame, malheureusement, on n’est pas toutes à la même enseigne pour ça.

Les soucis vous savez, ça n’arrange pas. J’ai commencé à les perdre à 25 ans. Et les golfes, croyez-moi, ça va vite.