apolline mariotte

Petites histoires vécues.

Mois : août, 2012

Miss camping

Baudouin Marechal pour Les Petites histoires vecues_Miss Camping

Un nombre certain d’années de scoutisme à mon actif, je pensais tout savoir des nuits sous la tente. C’était bien mal connaître la survie en milieu campeur. Oui, vous avez bien lu milieu, car c’est tout un écosystème qui régit la réception, la supérette, les emplacements, les sanitaires. Les sanitaires. Je déglutis avec difficulté. Pire, le bloc sanitaire. Mon échine se glace.

Les premières étapes du tour de Corse que nous avons entrepris et les 38 degrés qui accablent la région depuis des jours ne me permettent pas d’échapper à la douche. Les lingettes ont montré leurs limites, l’importante teneur en chlorure de sodium de la Méditerranée ne souffre pas que l’on y improvise une toilette.

Je prends donc la direction des sanitaires, mes affaires sous le bras. Après un rapide coup d’œil et un haut-le-cœur devant les toilettes à la turque, je choisis ma douche. Commence alors mon calvaire. Pour me prémunir de la contamination des mycoses, herpès et autres dartres, je développe un protocole pour la sauvegarde de mon très cher corps.

C’est incroyable les réserves insoupçonnées d’astuces que l’on se découvre alors. La serviette ne doit pas toucher les murs, la peau ne doit pas effleurer le carrelage, les vêtements ne doivent pas toucher le sol, les pieds ne doivent pas dépasser des tongs, la tong ne doit pas se poser sur la touffe de follicules pileux de mon prédécesseur qui s’agrippe opiniâtrement à la bonde.

Quelques minutes plus tard, l’estomac au bord des lèvres mais le cœur léger, je ressors et reprends le chemin de la tente, avec la satisfaction du devoir accompli.

De l’autre côté de la haie, Jacky fait racornir ses chipo sur une grille noircie par la graisse brûlée. Il a invité ses collègues de l’emplacement 27. Torses nus, ils ont pour seul rempart d’intimité le fil à linge où sèche un chapelet de moule-bite.

Dans le camping règne un parfum bucolique. Le camping, cet endroit unique au monde où l’on peut, sans que cela ne choque personne, musarder en pyjama, un rouleau de Lotus Ultra Doux à la main.

Blanche-Neige

Passé le tumulte du pont Jacques Cartier, l’on avale les kilomètres dans les vastes étendues canadiennes. Les rencontres se font de plus en plus rares et l’on s’enfonce dans des paysages de fjords. Les sapins vert émeraude se reflètent dans les eaux grises des lacs, des oiseaux marins au long cou juchés sur les rochers nous observent.

L’on grignote quelques bagels Philadelphia-concombre accompagnés de bière d’épinette devant le spectacle assourdissant des chutes Montmorency avant de reprendre la route. Quelques heures plus tard, à notre arrivée à la baie Sainte-Catherine, une file de voitures et de trucks attend déjà sous une pluie battante l’accostage du traversier.

Nous voilà enfin sur l’autre rive, à quelques kilomètres seulement de notre objectif, l’embouchure du Saint-Laurent et la baie des Escoumins, avec la ferme intention d’y croiser Moby Dick.

Le lendemain aux aurores, nous nous postons sur la plage de l’anse aux Basques, les yeux rivés vers l’horizon. Des bancs de bélugas apparaissent au loin, laissant présager le meilleur. Au signal de Pierre, vieux loup de mer à l’accent chantant, nous prenons place dans le zodiac après avoir enfilé une combinaison. Nous prenons le large.

Au fur et à mesure que nous progressons, une purée de poix cerne notre embarcation et s’abat jusqu’à toucher la surface de l’eau. La visibilité est réduite, l’air est poisseux. Nous croisons des phoques dont le museau et les moustaches surnagent, des marsouins qui se déplacent en de gracieuses chorégraphies. Au bout d’une heure et demie, nous n’avons toujours pas rencontré de baleine. À regrets, nous nous rendons à l’évidence. Elles semblent ne pas être de sortie aujourd’hui.

Pierre opère un demi-tour pour rebrousser chemin quand au loin dans la brume, maman aperçoit une masse sombre. Serait-ce la grande bleue ? Remplis d’espoirs, tous les équipages mettent le cap sur cette forme qui se meut à quelques centaines de mètres. L’excitation est à son comble. Dans une ambiance de chasse à la baleine, tous les yeux scrutent l’animal.

Arrivés à proximité du cétacé, nous constatons avec plaisir qu’il ne s’enfuit pas. Les Ecumeurs coupent les moteurs et nous pouvons observer tout à loisir la bête évoluer autour de nos embarcations, jusqu’à les frôler parfois. À chaque apparition, des cris et des hourras montent des zodiacs.

Ce ne sont pas un, ni deux mais trois rorquals communs de 50 tonnes que nous verrons ce jour là, plongeant et réapparaissant maintes fois, leur peau lisse et grise rappelant la cuirasse des sous-marins. Et pour clore cette odyssée, Blanche-Neige nous a fait l’honneur de sa présence, nous dévoilant sa queue blanche, majestueuse.

Maurice

Il aime bien sa routine Maurice. Il ne faut pas l’en changer, ses habitudes le rassurent. Tous les jours, il répète les mêmes gestes et son ardeur est intacte, comme s’il avait oublié que la veille à la même heure, il contemplait aussi sa plante de ses yeux myopes et globuleux. Ce végétal est son unique ami. Les enfants ne viennent plus voir Maurice. Pourtant, il est alerte pour son âge et se déplace avec dextérité. Alors il tourne en rond.

Cet été, Maurice a perdu son dernier compagnon de chambre. On l’a retrouvé inanimé, sans raison. Les familles partent en vacances, laissant derrière eux les anciens encombrants. Comme toutes les personnes âgées, il dort très peu et observe à travers la vitre la vie autour de lui. De chagrin, Maurice s’est suicidé. On l’a retrouvé affalé sur la table de la cuisine, l’œil vitreux, les branchies à l’arrêt.