L’hôtesse

Ce jour-là, on lui a donné une robe trop courte. Pas de chance, c’est elle que l’on a choisie pour remettre les Trophées du Bâtiment. Elle ne peut plus reculer. Devant un parterre de professionnels du béton armé et aux côtés du Ministre du Logement, elle s’élance. Elle traverse la salle, évitant les tables, et grimpe les quelques marches pour se hisser jusqu’à l’estrade. Elle ne s’est jamais tenue aussi droite, tentant de faire descendre au maximum la robe qui s’accroche sur son dos.

Un peu plus tard, dans les salons du très chic Automobile Club de France, les professionnels du béton armé avalent goulûment petits feuilletés et navettes. Ils ne font pas un pas pour admirer la vue sur la Place de la Concorde, ne lèvent pas les yeux pour observer le lustre de cristal finement ciselé, ne remarquent pas la jolie potiche placée dans un coin de la pièce.

L’hôtesse s’appelle l’Hôtesse. Elle n’a pas faim, elle n’a pas soif. L’hôtesse reste huit heures debout, perchée sur des aiguilles de dix centimètres. Même pas mal. L’hôtesse n’a jamais froid. L’hôtesse sourit toujours.

La soirée est bien avancée. Les minutes se font de plus en plus longues, l’hôtesse boit la coupe jusqu’à la lie. Les derniers invités ne devraient pas tarder à se diriger vers la sortie. Leur départ sonnera sa libération. C’était sans compter sur le petit groupe d’irréductibles qui se trémoussent encore et encore, pieds nus sur les tapis persans. Ils ont laissé leur dignité au vestiaire.

Lorsqu’elle s’assied enfin dans le taxi qui la ramène chez elle, elle a troqué ses escarpins contre une bonne paire de chaussettes et des Converses. Ses rotules lui rentrent dans les cuisses. Lorsqu’elle a retiré sa robe et les barrettes qui lui transpercent le crâne, l’hôtesse est en médecine, avocat spécialiste du droit maritime, expert en marketing du luxe, étudiante à Sciences Po.